jeudi 23 octobre 2014

Une prison presque parfaite


En science fiction, le thème le plus casse-gueule est peut-être celui du voyage dans le temps. Les paradoxes sont immédiats et les oui mais... surgissent par rafales, détournent l'attention du lecteur et permettent difficilement le maintien de cette suspension de crédulité nécessaire à la lecture d'un récit normalement impossible. Si c'est impossible, où est l'intérêt ?
Parfois, pourtant, l'idée de départ permet, non d'y croire, mais d'oublier pour un temps les paradoxes et de se laisser happer. Récemment, au cinéma, fut à ce titre la bonne (et si rare) surprise : Looper.
Dans un registre moins violent, Silverberg nous sert avec les Déportés du Cambrien, une idée de départ alléchante : un gouvernement sans scrupule rétablit une forme de peine de mort, la déportation à vie, un milliard d'années dans le passé, en une ère où il n'y a rien sinon de la terre, de l'eau, de l'air et des trilobites.1

D'une bonne idée de départ, donc, Silverberg gâche malheureusement à peu près tout. Ses déportés sont des activistes d'extrême gauche auxquels, par définition, on ne peut guère s'attacher, et la fin du roman est calamiteuse : tout l'intérêt de la situation terrible de ces hommes tient à leur isolement absolu, au souvenir de leur monde qui n'existera pas avant un milliard d'années et à l'impossibilité de jamais le revoir. Il fallait développer ce thème. Or Silverberg a préféré nous conter par de longs flash-backs le passé terroriste (et sans intérêt) de ses « héros ». Mais plus grave, il leur offre en toute fin une porte de sortie, ruinant ainsi toute l'idée d'une déportation temporelle sans espoir de retour. Sabotachh !

1. Le roman date de 1968. Selon la classification actuelle, un milliard d'années en arrière correspond au Tonien, soit 500 millions d'années avant le Cambrien.
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Robert Silverberg, Les Déportés du Cambrien, Le livre de poche, 2002, 191 pages.

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