mercredi 22 octobre 2014

Entre deux eaux


C'est une nef immobilisée en un lieu vide et gris de l'espace. Ballottée par de lents courants et l'agitation fiévreuse des quatre cents âmes égarées qui la peuplent. Cela pourrait être quelque part dans le nuage d'Oort, un ponton délabré collé à une comète morte. Mais c'est sur l'Elbe, à quelques lieues de Hambourg. Pour les réfugiés ça ne fait pas de différence, eux seuls savent qu'ils sont ici, le reste du monde les ignore et ne veut rien voir. Ils sont dans un no man's land administratif. Sans ressource, sans papier, sans talent. Chacun dans l'attente de la résolution positive d'une procédure mal expliquée.

L'Union Européenne ne sait pas dire non et ne peut pas dire oui. Que faire ? Et bien elle dépense de l'argent. La subvention supplée l'initiative, l'argent neutralise l'impuissance. l'UE missionne des commissaires pour établir des profils, étudier chaque cas, rédiger un rapport. Les commissaires se font concurrence, s'auditent plus ou moins officiellement, pensent à leur avancement. Et les sujets d'études dans tout ça ? Et la résolution du problème ?
Il est piquant de constater que ce qui préoccupe en premier lieu l'UE, c'est de savoir si le pays d'accueil traite bien les ressortissants. Non pas le devenir de ces pauvres gens, mais la moralité du pays membre qui se trouve chargé de l'affaire. Dans cette grande machine positive, le salut d'autrui finalement ne compte pas, ce qui compte c'est soi-même et l'image que l'on veut se donner. On ne dit pas oui, on ne dit pas non. L'UE est l'espace des peut-être. Et des commissaires.

____________________________
Thierry Marignac, À quai, Rivages, 2006, 223 pages.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Real Time Web Analytics